Associations d’avocats : les clés de la réussite

Article publié dans LawyersNow, octobre 2022, n° 15, pp. 5-9 (Lien)



Le fondement d’une association réussie, c’est la volonté délibérée des associés de créer de la valeur les uns pour les autres.

S’associer est un choix

L’un des charmes de la profession d’avocat est qu’elle peut être pratiquée en solo. En effet, pour l’essentiel, un avocat n’a pas besoin des autres pour faire son métier, et même pour y exceller : pour relire un contrat, plaider devant le tribunal ou rédiger un avis, les avocats n’ont guère besoin les uns des autres. S’associer (ou le rester si on l’est déjà) n’est donc ni une obligation ni une fatalité : c’est un choix.

Ce choix ne va pas de soi car la réalité de la vie associative est souvent âpre, même si les associations tentent souvent de projeter vers l’extérieur l’image d’une équipe unie, souriante et dynamique. Tout avocat ayant un tant soit peu l’expérience du fonctionnement d’une association conviendra que le fait d’y exercer sa profession engendre inévitablement des inconvénients, des embarras, des contraintes et des frustrations. Sans prétendre à l’exhaustivité, mentionnons les conflits d’intérêts obligeant certains de renoncer à des clients ou à des affaires, les pertes de temps lors de réunions trop longues ou improductives, la paralysie décisionnelle quand on peine à s’accorder, les contraintes organisationnelles, les coûts supplémentaires induits par la taille de l’association (personnel, bureaux, etc.), le compagnonnage forcé avec des personnalités difficiles, la pression psychologique pour atteindre les objectifs de facturation et la concurrence interne entre les associés. Bien entendu, toutes les associations ne cumulent pas tous ces désavantages, mais toutes s’y reconnaîtront au moins pour une partie.


L’enjeu fondamental : la création de valeur

Par conséquent, choisir l’état d’associé n’a de sens que si l’appartenance à l’association crée pour les intéressés une valeur supérieure aux sacrifices et aux inconvénients qu’elle leur impose. La question fondamentale est donc celle-ci : en quoi notre association crée-t-elle de la valeur pour les associés ? Pour être plus précis, en quoi, en notre qualité d’associé, créons-nous de la valeur les uns pour les autres ? Et cette valeur créée est-elle supérieure aux inconvénients inhérents à l’état d’associé ?

Certains associés adoptent une attitude de consommateur vis-à-vis de l’association : ils attendent que celle-ci (entendez les autres associés) crée de la valeur pour eux, mais sont aveugles à leur propre responsabilité d’en créer pour les autres :

Dans une association où tous les associés attendent que les autres se décarcassent pour eux, sans prendre eux-mêmes d’initiative bénéfique à leur égard, il est évident qu’il ne se passe rien et que la valeur créée par l’association est nulle.

A l’inverse, une association où chacun aurait à cœur d’être utile et agréable aux autres, ne serait-elle pas idéale ?

En quoi consiste la valeur créée par l’association ?

La valeur que l’association crée pour les associés peut être économique et financière, mais aussi stratégique, opérationnelle, affective, sociale, intellectuelle, symbolique, etc.

La description qui suit est donc celle d’une association idéale. Tant mieux si vous y reconnaissez la vôtre. Si en revanche, à la lecture de cet inventaire, vous prenez la mesure des imperfections et des limites de votre association, ne vous alarmez pas : vous êtes en bonne compagnie !

L’association idéale :

  • Met en place un partage des frais inhérents à l’exercice de la profession et diminue d’autant la charge financière de chacun des associés.

  • Permet d’investir dans des projets ambitieux grâce aux apports financiers de multiples associés.

  • Offre, grâce au mode de répartition des profits, une sécurité financière plus importante aux associés en mutualisant les risques et en lissant les revenus.

  • Facilite le développement de la clientèle de chacun des associés, grâce au cross-selling et à l’approche en équipe des clients.

  • Dispose d’une notoriété importante auprès du public et dans les cercles influents grâce au plus grand nombre d’associés qui le représentent, chacun dans sa sphère sociale et professionnelle, ce qui crée ainsi un puissant maillage.

  • Attire, grâce à sa taille critique et à l’importance qu’elle représente sur le marché, des clients plus importants.

  • Permet de servir une clientèle plus sophistiquée et de traiter de questions juridiques plus complexes, grâce à la possibilité pour chaque associé de se spécialiser, à la complémentarité des compétences et à la combinaison de ces compétences dans le travail en équipe.

  • Possède une notoriété qui attire les meilleures candidats, prêts à tout pour accéder eux aussi au statut convoité d’associé au sein de cette prestigieuse maison.

  • Encourage les associés, par une saine émulation, à donner le meilleur d’eux-mêmes, à viser sans cesse la performance et à se surpasser.

  • Bénéficie d’une aura de prestige qui rejaillit sur ses membres conférant à ceux-ci un motif légitime pour augmenter leurs tarifs.

  • Offre un compagnonnage agréable et intellectuellement stimulant avec des associés de grande qualité, dans un esprit positif et dynamique de respect mutuel, de collaboration, de solidarité et de convivialité.

  • Permet, grâce à la combinaison de tout ce qui précède, de rémunérer les associés à un niveau qui est un multiple de ce que les mêmes personnes auraient gagné seules, ou dans une association moins performante, à travail égal.

  • Pérennise la pratique des associés et permet à celle-ci de ne pas s’étioler avec l’âge et disparaître quand l’associé prend sa retraite, le relais passant aux associés de la génération suivante, offrant ainsi aux aînés le sentiment réconfortant de voir « l’œuvre d’une vie » se perpétuer.

Activer les leviers de la réussite

Au-delà de l’intention générale de « créer de la valeur » et de l’aspiration à se rapprocher, au moins sur quelques points, de l’association idéale décrite ci-dessus, que peut-on faire concrètement ?

  • Déterminer de manière explicite la nature de la valeur que les associés s’engagent à créer les uns pour les autres. Si l’on considère la liste qui précède, quels sont les points qui importent aux associés et à la réalisation desquels ils sont déterminés à contribuer ?

  • Définir de manière explicite une vision partagée de l’objectif ultime du cabinet. Il est nécessaire que la volonté de développer le cabinet converge dans une direction commune. Par exemple, si une moitié des associés ambitionne de rejoindre un grand cabinet international tandis que l’autre souhaite rester un acteur local et indépendant, l’association a peu de chances d’être épanouissante pour tous.

  • Veiller à la complémentarité entre les pratiques des associés. Une association n’a vraiment de sens que si elle permet, par la combinaison effective des pratiques et par le travail en commun des associés d’attirer des clients et du travail plus sophistiqué (plutôt qu’une simple juxtaposition de pratiques individuelles fonctionnellement indépendantes).

  • Mettre en place une gouvernance efficace. Par gouvernance, entendons la capacité collective des associés à prendre des décisions et à en assurer l’exécution. Une bonne gouvernance se manifeste notamment par le sentiment partagé que les réunions d’associés sont utiles, productives et suivies d’effets.

  • Une performance économique satisfaisante. Il est évident qu’une association a plus de chance de bien se porter si tous les associés gagnent bien leur vie. La performance économique passe notamment par le choix de la stratgie, le développement de la clientèle, la politique de pricing, et la politique de qualité.

  • Un bon système de rémunération des associés. La question est évidemment cruciale. Un désaccord persistant entre les associés sur la manière de se répartir les fruits de leur travail peut condamner une association.

  • L’intelligence relationnelle des associés. Enfin, une association reste avant tout un groupe d’êtres humains et à ce titre, son succès dépend aussi de la capacité des associés à interagir les uns avec les autres de manière agréable et productive, à maintenir entre eux une atmosphère vivifiante et cordiale, à dépasser leurs inévitables divergences de vue, à gérer leur stress et leurs émotions plutôt que de les projeter à l’extérieur, et à composer avec la personnalité des uns et des autres.

En pratique

Pour conclure, en réunissant ces points dans un tableau, on obtient un outil de diagnostic efficace pour identifier les points forts et les points faibles d’une association, et le cas échéant les pistes prioritaires à suivre pour renforcer l’association. On invite chaque associé à déterminer à choisir une couleur pour chacun des facteurs de réussite, étant entendu que :

  • Le vert signifie que tout va bien ;

  • L’orange signifie que la situation est mitigée ;

  • Le rouge signifie que la situation est carrément problématique.

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